Avis | Où le Hamas gagne

En 2014, un nouvel État a été formé au cœur du Moyen-Orient. Elle avait une capitale, un gouvernement, une armée et près de 12 millions de sujets, soit une population plus nombreuse que la Jordanie ou Israël. Il était également engagé dans la boucherie, la sauvagerie et la violence fanatique, ce qui lui a rapidement valu l’inimitié de l’ensemble du monde civilisé.

Cette inimitié universelle faisait qu’il était difficile d’imaginer comment cet État aux nombreux noms – l’État islamique, l’Etat islamique, Daesh – pourrait survivre longtemps. À l’époque, j’avais proposé une analogie spéculative avec les bolcheviks en Russie, un autre groupe impitoyable de terroristes révolutionnaires qui ont fait face à l’opprobre général et aux interventions étrangères, mais ont survécu pour gouverner la Russie pendant plusieurs générations.

Mais c’est finalement le scénario le plus plausible qui s’est produit. En refusant même un semblant de modération, en choquant la conscience du monde tout en cherchant une confrontation directe avec la puissance occidentale, l’État islamique a connu un boom temporaire de recrutement suivi d’une extirpation écrasante. Même un empire américain affaibli dans un monde plus multipolaire a réussi à encercler sa barbarie et à le ramener à l’apatridie par la force des armes.

Cet antécédent plane sur la crise actuelle en Israël et en Palestine. Les atrocités perpétrées par le Hamas contre des Israéliens innocents, les films à priser, les mutilations et le plaisir de la simple cruauté ont inspiré des analogies immédiates avec les déprédations de l’État islamique. Ils ont également soulevé la question de la stratégie du Hamas. S’agissait-il, comme certains l’ont affirmé, d’un saut désespéré mais calculé vers la barbarie, entrepris sur la base de la théorie selon laquelle seule une véritable horreur donnerait lieu au type de réaction israélienne nécessaire pour faire échouer le rétablissement de la paix entre Israël et ses voisins arabes ?

Ou bien, était-ce la preuve que le Hamas n’avait aucun plan stratégique normal ? Peut-être qu’en étant à la hauteur des cruautés de l’État islamique, il correspondait également à la folie autodestructrice de ce régime. Peut-être, comme l’a écrit Yair Rosenberg de The Atlantic, que les massacres étaient « ancrés non pas dans la stratégie, mais dans le sadisme ».

Je ne pense pas que nous devions choisir complètement entre ces alternatives. Les mouvements radicaux sont souvent multivalents, avec des sadiques motivés par des idéologies et des joueurs à l’esprit stratégique convergeant vers le même plan malgré des conceptions de soi quelque peu différentes.

Mais il existe une autre manière d’envisager la violence extrême en tant que stratégie, une approche dont les implications vont au-delà de ses seuls effets potentiels sur la politique israélienne et le rapprochement saoudo-israélien.

Oui, un mouvement qui va délibérément aux extrêmes risque de se retrouver dans le scénario de l’État islamique, où l’on s’isole si complètement qu’on finit d’abord par être moralement délégitimé, puis acculé et détruit. C’est clairement le risque que court actuellement le Hamas. Il ne détenait pas seulement le pouvoir à Gaza, il jouissait d’une certaine forme de légitimité, d’un certain degré de faveur auprès de certaines parties de la gauche occidentale et du monde arabe, dont l’État islamique n’a jamais bénéficié ni recherché. Et en adoptant la violence barbare, il s’est montré disposé à mettre le feu à cette légitimité.

Mais supposons que vous allumiez l’allumette, que vous franchissiez la ligne, que vous laissiez le monde civilisé derrière vous et que beaucoup de vos alliés restent simplement avec vous ? Supposons que vous transformiez le sud d’Israël en abattoir et que vous ne le faites pas finir comme l’État islamique par la suite ? Supposons qu’au lieu de cela, la plupart de vos sympathisants se contentent de se rendre dans leurs coins habituels, certains trouvant des excuses et minimisant la violence, d’autres s’engageant pleinement pour la gloire de votre cause ?

Eh bien, comme l’écrit Damir Marusic dans un essai troublant cette semaine, vous avez acquis une « légitimité révolutionnaire » que vous n’aviez pas auparavant. Vous avez adopté un immoralisme radical et forcé vos partisans à réécrire leur propre moralité, à excuser ou à accepter ou (comme cela arrive souvent) à d’abord excuser puis à accepter. Ce processus, note Marusic, « asphyxie effectivement tout programme politique moins extrême que l’agenda révolutionnaire ». Et cela ferme les portes de sortie à vos alliés dans le futur : après vous avoir suivi aussi loin dans les ténèbres, chaque pas supplémentaire devient plus naturel, chaque pas en arrière plus difficile à faire.

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